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Contrainte/Restraint : Nouvelles pratiques en arts médiatiques du Brésil et du Pérou (Montréal)

Oboro, Montréal
+ Maison de la culture Marie-Uguay, Montréal

Du 7 novembre au 12 décembre 2009

L’idée de départ est de montrer ce que les contextes brésilien et péruvien, sous leurs aspects culturel, social et politique, ont de commun à l’égard de l’utilisation des technologies médiatiques. L’exposition explore la présence de ces trois aspects par une sélection d’œuvres représentatives des deux pays. Dans ces contextes, les points communs peuvent-ils être expliqués ou rendus manifestes dans une dynamique de dualités et de paradoxes et par une superposition de mondes différents, pour révéler de nouvelles perspectives sur le temps présent? Ces points de vue inédits d’artistes des nouveaux médias d’Amérique du Sud n’ont pas fini de remettre en question les trajets rectilignes vers un espace mondialisé.

Les modernismes particuliers du Brésil et du Pérou sont tout de même traversés de quelques parallèles dans leur précarité et leur extravagance créatrices, dans la masse de l’improvisation technologique et dans les strates temporelles complexes de leurs villes chaotiques, violentes et brutales, à la fois dans leur histoire et dans leur mémoire.

Lima, capitale du Pérou, propose un nouveau paradigme de modernité, marqué par le paradoxe : chaos, pauvreté, accessibilité généralisée de la technologie, piratage de produits technologiques, bâtiments historiques recyclés en lieux modernes. Tous les indices de la complexité socio-économique du pays s’y trouvent concentrés. Tandis que São Paulo est le centre financier et commercial du Brésil. C’est un lieu où coexistent une pauvreté et une richesse extrêmes. Les deux villes semblent partager cette coexistence de situations paradoxales où les forces de la modernité et de la précarité s’exercent sans cesse, ce qui se reflète dans bon nombre des œuvres qui composent l’exposition.

De la dissémination /Julie Bélisle

Sans contrainte, le risque est parfois grand de se perdre. Ou du moins, se plier à un ensemble de règles et d’exigences peut s’avérer un puissant stimulant pour l’imagination. C’est sous ce thème que nous avons voulu aborder le foisonnement des pratiques artistiques brésiliennes et péruviennes et dresser un certain portrait des arts médiatiques dans ces deux pays. La contrainte que nous nous sommes imposée a d’abord porté sur le choix du médium, soit le recours aux nouvelles technologies, ce qui nous a ensuite amenés à tourner notre attention vers une jeune génération d’artistes. Une génération qui m’est vite apparue anti-romantique, éprise de technologie, à la fois chaotique dans son organisation et engagée dans sa création, et dont les œuvres restent très peu accessibles en Amérique du Nord. Ainsi, l’idée de la contrainte signifiait non pas tant de nous pencher sur des œuvres qui faisaient état d’un contexte coercitif de production ou dont le motif allait, nécessairement, être celui de l’oppression – bien que celui-ci se profile dans certaines pièces choisies –, mais bien de rapprocher des œuvres qui font état d’une multiplicité de contraintes, qu’il s’agisse de défis techniques, de mémoires endiguées, de contrôle social ou de paranoïa urbaine.

São Paulo et Lima sont deux villes à la démographie vertigineuse et présentent toutes deux des scènes artistiques effervescentes. Celle de São Paulo est soutenue par le milieu financier ainsi que par un important réseau d’institutions muséales, d’événements ponctuels et de galeries commerciales (1), tandis que celle de Lima tire son soutien principalement d’initiatives collectives et personnelles ainsi que de quelques galeries privées et structures institutionnelles qui ont vu le jour depuis la fin des années 1990 (2). São Paulo, qui rivalise avec la ville de Mexico en matière de densité de population, possède une scène artistique de calibre international sans contredit la plus importante d’Amérique du Sud. Les artistes brésiliens restent cependant tributaires du soutien des galeries privées et, bien que des structures collectives émergent ponctuellement, la solidarité du milieu artistique m’apparaît moins palpable que du côté péruvien. La scène artistique de Lima, qui se construit progressivement, a quant à elle une structure événementielle fragile et elle demeure dépendante de la volonté des pouvoirs publics en place. Son passé précolombien pèse également très lourd. L’image exotique des Incas est persistante au Pérou (3), pays où la culture contemporaine retient beaucoup moins l’intérêt local et touristique. Cela a toutefois pour effet d’engendrer une résistance artistique qui se manifeste par l’exploration des nouvelles technologies et où le choix de médiums non traditionnels devient signe d’affirmation.

Bien que cet aperçu reste très partiel et incomplet, nous pouvons néanmoins croire qu’il présente un certain nombre de facteurs qui modulent la production artistique à São Paulo et à Lima. Il est par ailleurs intéressant de noter que, dans les deux endroits, le phénomène de la mondialisation est un terme qui revient souvent tant dans le discours des artistes que dans celui des critiques et dont la récurrence atteste de l’émergence d’une « culture commune ». Aucun choc culturel ne nous attend devant la production en arts médiatiques du Brésil et du Pérou. Et peut-être est-ce un effet du partage de références apportées par l’arrivée d’Internet, de la télévision par câble et de l’accessibilité des ordinateurs à peu près partout sur la planète. Si certains voient la mondialisation d’un œil inquiet et soulèvent le risque d’aplanissement des différences, le partage d’une culture planétaire peut, au contraire, être synonyme d’ouverture, où chacun apporte inévitablement sa particularité.

Les relations entre les œuvres choisies pour Contrainte/Restraint sont multiples et dénotent la plurivocité des pratiques. Bien que l’engagement politique soit associé à l’art de l’Amérique latine tout au long du XXe siècle, ce n’est pas ce qui ressort à première vue des œuvres réunies. Les thèmes de la surveillance et de la violence sont davantage exploités pour aborder la paranoïa et le danger qui marquent la réalité urbaine. Mais, au-delà des préoccupations sociales, la ville est aussi un sujet de fascination en soi apparaissant, vu son étendue, comme un espace insaisissable à l’œil nu. C’est dans cette optique que Nicole Franchy la modélise à l’aide de circuits électroniques et construit une véritable ville réseau dont les différentes zones ne communiquent pas entre elles. Les vidéos de Rodrigo Matheus nous offrent quant à elles une saisie de l’espace urbain effectuée au moyen de technologies numériques. Créées avec la caméra de Google Earth, ses images présentent, dans un assemblage de photographies satellitaires, des vues aériennes abstraites provenant pourtant de données bien réelles et qui jouent sur les effets d’éloignement, de rapprochement et de balayage. Étonnamment, ces œuvres prennent pour objet non pas le territoire sud-américain, mais celui des villes asiatiques qui connaissent une croissance encore plus rapide que les métropoles de l’Amérique du Sud. À ces images de villes tentaculaires se juxtaposent des paysages vierges de toute présence humaine, le pôle Sud et le Grand Canyon, qui viennent faire office de contrepoids.

L’œuvre Parálisis, de Gabriel Acevedo Velarde, nous réintroduit cependant dans l’architecture urbaine. Par le truchement de l’animation, il transpose l’angoisse névrotique de la population sur la végétation et fait des figuiers pleureurs, arbustes typiques des villes de Mexico et de Lima, les personnages de sa vidéo. Ceux-ci s’animent au sein de l’espace bétonné, agitent leur feuillage et hurlent au passage des gens, la trame urbaine ayant également pour effet de soumettre la nature à la contrainte. Dans l’installation Stereo Realidad Environments 3: Brutalismo, José Carlos Martinat reproduit l’architecture autoritaire de l’édifice du ministère de la Défense du Pérou communément appelé le « Pentagonito ». L’artiste a installé dans sa structure des imprimantes reliées à un logiciel qui exécute des séquences de recherche sur le Web afin de trouver tout ce qui est associé au style du brutalisme en architecture et tout ce qui renvoie aux pans de l’histoire récente du Pérou, laquelle est marquée par la brutalité de sa lutte contre le terrorisme. L’accumulation de collages de textes imprimés matérialise l’ampleur de la répression péruvienne. Abordant également cette période de l’histoire, Rolando Sánchez relate l’horreur de la guérilla terroriste des années 1980 en la mettant au cœur de jeux vidéo qu’il conçoit sur le modèle des jeux de l’époque. L’œuvre Matari 69200, dont le chiffre du titre équivaut au nombre de morts causées par le conflit, reprend une expérience vécue par l’artiste durant son enfance, où l’arrivée de la télévision couleur et de la console de jeux Atari 2600 a été accompagnée par la diffusion d’images extrêmement violentes.

L’esthétique propre aux jeux vidéo est également revisitée par le duo formé par Leandro Lima et Gisela Motta. Pour réaliser l’œuvre Armas. Obj., les deux artistes ont piraté différents jeux afin d’en extraire les modèles d’armes. Les reproductions tridimensionnelles qui en résultent problématisent notre familiarité avec les images de violence insérées ici et là dans des contextes ludiques. Dans la pièce Alvo, qui fait partie de la même série, une cible interactive prend pour point de mire les spectateurs.

Plusieurs œuvres de l’exposition prennent appui sur l’image virtuelle et construisent du « visuel » par le recours au jeu vidéo, à la modélisation, à Google Earth ou, encore, à l’aide d’algorithmes ou de programmes d’animation. Les pièces d’Amilcar Packer et de Lucas Bambozzi ramènent au contraire l’attention du côté de la réalité brute des choses et, dans une certaine mesure, des lois de la physique qui la régissent. L’image est ici obtenue non pas par transposition, mais à la suite de l’expérimentation de protocoles performatifs et de la programmation de gestes anodins. Avec Video #15, Amilcar Packer détourne l’utilisation usuelle d’un camion de transport pour le transformer en dispositif de performance. Assis, nu, au centre du fourgon alors que le véhicule est en marche, l’artiste tente de contrôler les secousses qui le font immanquablement tomber et perdre sa posture. Deux caméras captent cette action qui explore le risque physique auquel l’artiste s’expose. Run>Routine, de Lucas Bambozzi, est une installation qui encode la chute de différents objets dans une routine de programmation qui les commande de manière aléatoire. L’œuvre se présente ainsi sous la forme d’une interface répétitive qui fait naître un dialogue entre différentes scènes individuelles et dont les éclats, s’ils sont contraints par un programme, demeurent néanmoins imprévisibles et chaotiques. Le langage informatique devient ainsi un outil de contrôle et de formatage pour des incidents de la routine domestique.

Enfin, l’accroissement des mouvements de biens et des flux d’information lié à la mondialisation a donné lieu à un sentiment de complicité qui se manifeste au-delà des frontières. Et c’est peut-être le propre de la scène des nouveaux médias que de favoriser l’éclosion de nouvelles communautés et de nouveaux modes d’expression dans des contextes où se multiplient les dispositifs techniques. La valeur d’expérimentation associée aux arts médiatiques favoriserait ainsi l’échange et le regroupement de même que la dissémination du travail artistique, qui voyage autant sur le Web que dans d’innombrables événements partout dans le monde. Comme si l’arrivée de ces « artefacts » technologiques (5) concourait à démanteler les frontières.

Julie Bélisle
Montréal, août 2009

Notes
  1. Agnaldo Farias and Moacir dos Anjos, The Turn Generation 10 + 1: Brazilian Art in Recent Years (São Paulo: Instituto Tomie Ohtake, 2007), 28-68.
  2. Mauricio Delfín and Miguel Zegarra, “Electronic Art in Peru: The Discovery of an Invisible Territory in the Country of the Incas”, Third Text, vol. 23, no. 3 (May 2009): 293-301.
  3. Ibid., 293.
  4. Ibid. See also the article by José-Carlos Mariátegui, “Peruvian Video/Electronic Art”, Leonardo, vol. 35, no. 4 (August 2002): 355-63.
  5. A term used by José-Carlos Mariátegui in his article “Emergentes: Process-Based Works”, Emergentes (Gijón, Spain: LABoral Centro de Arte y Creación Industrial, 2007), 30-38.
La vie technologique des sauvages / São Paulo : topographie de l’exclusion (1) /
Kiki Mazzucchelli

Avec plus de 10 millions de personnes et un tissu urbain chaotique, semé de grappes de gratte-ciel et d’îlots insalubres en expansion, São Paulo est peut-être la ville où les contradictions caractéristiques de la société brésilienne sont les plus manifestes. C’est le centre financier et industriel du Brésil. C’est aussi le plus vaste marché de consommation de classe moyenne en Amérique latine. La ville produit 40 % du PIB du pays, alors même qu’un million de personnes environ vivent sous le seuil de la pauvreté. Ce profond fossé économique et social est l’expression de formes particulières de sociabilité, générées par des intérêts privés qui ont aussi engendré les formes débridées d’expansion et de développement qui caractérisent le paysage urbain contemporain de São Paulo.

De fait, la seule et unique intervention officielle de quelque envergure dans l’aménagement urbain de São Paulo a été le plan d’urbanisme de Francisco Prestes Maia, réalisé seulement en partie, dans les années 1930 et 1940. Le plan prévoyait le percement d’une série de larges avenues entre le centre et la périphérie, et privilégiait la circulation automobile plutôt que les transports publics. Il impliquait une large part de démolition et le remodelage des quartiers centraux. Il a encouragé la spéculation immobilière et chassé les classes ouvrières, qui n’ont plus été en mesure de payer les loyers gonflés. Il a contribué à la manifestation concrète d’un système économique et d’un système de classe extrêmement déséquilibrés par un modèle de ségrégation urbaine qui, en réalité, coupait le centre de la périphérie(2) et regroupait l’infrastructure et les services publics (voirie, éclairage, égouts, hôpitaux, écoles, etc.) dans le centre. Ce modèle a persisté jusque dans les années 1970.

À partir des années 1980, la ségrégation par l’éloignement a peu à peu cessé, du fait de la migration progressive de la classe supérieure vers les nouvelles enclaves fortifiées érigées à la périphérie de São Paulo qui, pour la première fois, a réuni riches et pauvres dans une même zone géographique. À la même époque, le taux de criminalité (vols en tous genres, enlèvements, morts violentes) a commencé à augmenter, et la sécurité (ou plutôt l’absence de sécurité) est passée au premier plan dans la conception du paysage urbain. La topographie de São Paulo telle qu’elle nous apparaît aujourd’hui, avec sa profusion de murs, de clôtures électrifiées, de caméras en circuit fermé, de gardiens de sécurité armés à la solde de particuliers, de garages à double porte et de voitures à l’épreuve des balles, est le produit d’un mouvement historique de retrait des classes moyenne et supérieure des espaces publics et, par conséquent, de la vie publique, au profit d’un style de vie dont les valeurs fondamentales sont la sécurité ainsi que la personnalisation de lieux et de services privés.

L’ère du contrôle et de la surveillance

Les espaces publics sont maintenant largement négligés, à la fois par l’État et par les classes moyenne et supérieure, tout en étant de plus en plus surveillés. L’industrie de la sécurité fait preuve d’une créativité presque comique, comme en témoignent ces barrières à la popularité croissante érigées autour des immeubles d’habitation et percées d’une ouverture rectangulaire où les livreurs anonymes et donc, suivant la logique de l’élite, potentiellement délinquants, peuvent glisser pizzas et autres produits alimentaires sans entrer dans la propriété. Selon l’anthropologue Teresa Caldeira, l’inégalité est devenue un principe d’organisation. Pour elle, ce modèle d’enclaves fortifiées crée « un espace en flagrante contradiction avec les idéaux d’ouverture, d’hétérogénéité, d’accessibilité et d’égalité qui ont contribué à l’organisation de l’espace public et des démocraties modernes », transformant du coup la perception et l’utilisation des espaces publics dont il fait « des espaces résiduels »(3). L’élite passe donc le plus clair de sa vie professionnelle et sociale derrière des portes closes.

C’est de ce contexte de peur extrême, de division patente et de haute surveillance qu’émerge le travail des artistes de São Paulo représentés dans notre exposition. Contrôle et surveillance sont d’ailleurs au premier plan de la trilogie vidéo créée par Rodrigo Matheus à partir d’images de Google Earth, comme de l’installation interactive de Leandro Lima et Gisela Motta, dans laquelle une cible projetée suit les visiteurs qui se meuvent dans l’espace d’exposition. Chacune des vidéos de Matheus met en scène une région différente du monde et met en lumière des aspects distinctifs des fonctions et de la puissance du logiciel, posant comme un problème cette technologie et son évocation de la surveillance exercée par l’armée et les entreprises, au fil de scénarios cinématographiques sombres et empreints d’une tension angoissante. L’œuvre de Leandro Lima et de Gisela Motta aborde plus précisément la paranoïa qu’éprouvent quotidiennement les habitants de São Paulo, qui est peut-être autant le produit de crimes réels que des mesures de sécurité ostentatoires jusqu’à l’agression qui plombent les espaces privés.

2006 : tous en enfer

En 2006, São Paulo a traversé la plus grave crise de sécurité publique de son histoire. Le régime carcéral a été secoué par des rébellions. Des édifices publics et privés, des postes de police, des palais de justice, des banques et des supermarchés ont été attaqués à la bombe, à la grenade et au fusil. Plus de deux cents autobus ont été incendiés. Plusieurs policiers et membres du personnel des prisons ont été tués. Ces attaques en mode terroriste étaient orchestrées par un groupe criminel appelé Primeiro Comando da Capital (PCC, ou premier commando de la capitale), constitué dans les prisons d’État de São Paulo en 1993. Elles ont été perpétrées par périodes de trois semaines au cours des mois de mai, de juillet et d’août, bref, juste avant les élections d’octobre. Pour coordonner ces attaques, qui étaient d’abord essentiellement une réaction contre le transfert de plusieurs des leurs vers des établissements à sécurité maximale, les chefs du PCC ont utilisé des téléphones mobiles introduits illégalement dans les prisons de l’État de São Paulo où ils étaient détenus.

Ce soulèvement sans précédent a trouvé une large place dans les médias et la peur a gagné d’autres États brésiliens, où pourtant aucune attaque n’avait eu lieu(4). Au cœur de la crise, Arnaldo Jabor, journaliste et cinéaste, a publié une entrevue fictive(5) avec Marcos Willians Herbas Camacho, alias Marcola, principal meneur du PCC. Le texte, qui présente Marcola comme un critique très éloquent des inégalités qui sévissent dans la société brésilienne, citant Dante et Hélio Oiticica, a été largement diffusé par courriel et dans les blogues, et souvent pris pour une interview authentique.

Invité à commenter l’émergence de cette nouvelle classe de citoyens qui choisissent le crime organisé pour échapper à la pauvreté et à l’invisibilité totales, le faux Marcola répond que « la post-misère génère une culture de l’assassinat, soutenue par la technologie, les satellites, les téléphones portables, Internet et les armes modernes ». L’accessibilité sans précédent des « produits chinois » a permis à une nouvelle génération de criminels d’adopter les technologies modernes de la surveillance et de la communication mondiale. Pendant un temps, la ville semblait aux mains du PCC. Dans les circonstances, les derniers mots de « Marcola » semblaient résumer le sentiment d’appréhension qui étouffait la population pauliste à l’époque : « Abandonnez tout espoir. Nous sommes tous en enfer. »

La division comme norme

L’article de Jabor eut un certain mérite : celui de donner une intense visibilité au problème de la violence quotidienne infligée aux segments les plus pauvres de la population de São Paulo, violence largement ignorée jusque-là par les médias parce que trop banale(6). Le corps nu exposé par Amilcar Packer dans son installation vidéo enveloppante semble évoquer ces gens abandonnés de l’autre côté des clôtures et des murs érigés par l’élite, comme des corps privés des droits fondamentaux et exclus du système judiciaire institué par une puissance souveraine. Le corps de Packer se trouve dans un espace clos et obscur où il est soumis à des forces extérieures qui le projettent violemment d’un côté et de l’autre et où il tente de se maintenir assis sur une chaise, le tout mettant en évidence sa vulnérabilité et sa détermination.

L’installation de Lucas Bambozzi propose en revanche une vision plus sarcastique de l’égocentrisme d’un large segment des classes moyenne et supérieure de São Paulo. Dans cette œuvre, intitulée Run>Routine, Bambozzi associe plusieurs routines informatiques et domestiques, mettant en évidence la croyance égoïste et naïve que la vie quotidienne pourrait être entièrement maîtrisée, programmée et exempte du chaos représenté par l’espace public résiduel et ses habitants.

La réponse, c’est la technologie, bien sûr. Mais quelle est la question (7)?

São Paulo a toujours été cosmopolite et elle l’est maintenant plus que jamais. Il n’en reste pas moins que la richesse y est honteusement concentrée et que la sécurité sert d’excuse à des pratiques d’exclusion qui en font l’apanage social de l’élite. Dans ce contexte, la technologie semble principalement un instrument de contrôle et de surveillance, des espaces privés en particulier. Au Brésil, l’analyse sociale ou politique de l’art technologique est un fait rare, curieusement, même s’il connaît un essor très rapide depuis près de dix ans et est généreusement financé par les deniers publics.

À l’image de la topographie de la ville, plusieurs festivals et expositions technologiques sont financés par le secteur privé et sont essentiellement des instruments de promotion à demi gratuits(8) au service des grandes multinationales. Les protagonistes de la scène culturelle brésilienne ont été nombreux à proposer des projets très intéressants – dans le domaine de la technologie de source ouverte, par exemple –, mais le secteur des nouveaux médias préfère l’esthétique spectaculaire d’envergure au contenu critique. Les habitants de São Paulo aspirent toujours à se retrouver en phase avec les cultures hégémoniques qu’ils tentent d’imiter, mais tant que l’exclusivisme et la sécurité, motivés par des intérêts privés, demeureront les valeurs fondamentales de cette société, ce synchronisme restera un rêve lointain.

Kiki Mazzucchelli

Notes

(1) Le titre de cet essai a été emprunté à la compilation post-punk « The Sexual Life of the Savages », organisée par le duo d’artistes Tetine et publiée en 2005 par l’étiquette britannique Soul Jazz, qui à son tour l’a emprunté au livre du même titre rédigé par  Malinowski en 1929.

(2)Voir l’étude de Teresa Caldeira intitulée City of walls: crime, segregation, and citizenship in São Paulo, qui approfondit les rapports entre la peur, le crime, la ségrégation et l’expansion urbaine à São Paulo (Londres, University of California Press, 2000, p. 220-221).

(3)Voir Teresa Caldeira, « A contested public: Walls, graffiti, and pichações in São Paulo », 27a. Bienal de São Paulo: Como Viver Junto, sous la direction de Lisette Lagnado et Adriano Pedrosa, São Paulo, Fundação Bienal, 2006.

(4)Selon un sondage commandé par le journal O Estado de São Paulo et IBOPE, publié le 29 août 2006, 26 % des habitants de São Paulo ont changé leurs habitudes quotidiennes à cause des attaques du PCC. Curieusement, les pourcentages étaient les mêmes (19 à 28 %) partout au pays, même si les attaques ont touché presque exclusivement l’État de São Paulo.

(5)Dans le journal O Globo du 23 mai 2006.

(6)Il importe toutefois de noter que le texte suggère aussi un lien direct entre pauvreté et criminalité, un sujet névralgique que je ne souhaite pas développer ici.

(7)Citation attribuée à l’architecte Cedric Price.

(8)Les lois actuelles de promotion de la culture (Rouanet) permettent aux mécènes du secteur privé d’« investir » dans les projets culturels de leur choix, pourvu que ces derniers soient approuvés par le gouvernement, mais il n’y a pas de programme culturel clair. Un pourcentage des sommes investies est déduit du revenu

Pannes historiques et dystopies urbaines: Éteindre, enregistrer, diffuser et allumer une ville / Miguel Zegarra

D’après le dernier recensement national, 27,8 % de la population du Pérou serait concentrée à Lima, laquelle compte 7 695 742 habitants pour une superficie de 2 812 km2 (0,2 % du territoire péruvien)(1). En raison d’un processus accéléré de migration et d’un débordement démographique, la ville s’est étendue en créant d’importants pôles de développement en peu de décennies(2). Au milieu de cette croissance accélérée, un chaos prend forme dans l’idiosyncrasie nationale, enraciné dans des processus de migration interne dus à une récente histoire de violence, et configure cette ville comme synthèse du Pérou : un modèle de société civile dissociée de l’État(3) dans lequel cohabitent des formes hybrides de développement et de modernité.

Ce processus a mené à une transformation radicale du paysage urbain. Des environnements de pauvreté extrême et de richesse coexistent, des édifices historiques sont recyclés en constructions improvisées, et l’accès massif aux technologies s’effectue par l’intermédiaire de cabines informelles d’Internet, de produits pirates et du recyclage électronique.

Le recyclage des technologies et de l’information est une des caractéristiques qui définit les arts médiatiques péruviens. Les différentes zones de Lima dédiées au recyclage technologique configurent une topographie cyber-punk, où les ingénieurs électroniques informels vendent des robots à côté de montagnes de pacotille électronique. Ces « laboratoires publics » de matériaux et d’idées sont concentrés dans le centre de la ville(4).

Panne de courant

Il est difficile d’imaginer comment des œuvres d’art électroniques auraient pu fonctionner dans le Pérou des années 1980. Les attentats terroristes constants contre les tours d’électricité auraient fait en sorte que celles-ci se seraient allumées et éteintes de façon intermittente, jusqu’à être paralysées.

Entre les années 1980 et 1990, sévissait un processus de guerre interne auquel Lima tournait le dos. Le premier contact avec la violence fut médiatique, à partir de la presse et de la télévision. Ensuite le conflit s’empara de la ville, transformant les rues en territoires de violence et de mort. Matari 69200, de Rolando Sánchez, explore l’expérience médiatique de la chose publique dans l’espace privé, en faisant allusion à un imaginaire et à une mémoire générationnels. La génération des artistes réunis dans Contrainte/Restraint a vécu une réclusion dans l’espace privé entre des écrans (allumés puis soudainement éteints par des explosions) qui montraient des jeux vidéo et des dessins animés, en alternance avec des bulletins d’information annonçant l’hyperinflation, des épidémies, des génocides et la destruction(5).

Paranoïa

1990 fut la décennie d’un régime politique qui a débuté et qui s’est terminé sur vidéo. Premièrement, l’arrestation d’Abimael Guzmán, dirigeant du groupe terroriste du Sentier lumineux, et la diffusion d’un enregistrement vidéo de ce dernier dansant sur Zorba le Grec avec les membres de son organisation. Lorsque la décennie a pris fin, une autre vidéo, celle du pot-de-vin du conseiller présidentiel Vladimiro Montesinos à un parlementaire, enregistrée par le Servicio de Inteligencia (Service du renseignement) puis diffusée par la télévision ouverte(6). La diffusion massive de cet enregistrement a changé le cours de l’histoire, dévoilant un réseau de corruption politique et médiatique.

Deborah Poole décrit le contrôle d’un État aux « mille yeux », omniprésent et omniscient. Au début des années 1990, il était fréquent de voir à la télévision des tournages tant d’individus suspects que de terroristes connus déambulant dans les espaces publics de Lima. Avec ces tournages, on tentait de faire entrer dans les foyers l’idée qu’aucun individu se déplaçant dans les rues ne serait capable d’échapper aux yeux de l’État. Par ce type de reportages, le régime de Fujimori cherchait à transmettre l’idée que l’État possédait non seulement une capacité illimitée de surveillance, mais également un contrôle indistinct sur ce qu’il nous permettait de voir ou non(7).

Dans Stereo Reality Environment 3: Brutalismo, José Carlos Martinat s’approprie une architecture emblématique de la surveillance et du pouvoir(8). L’artiste génère de nouvelles informations en s’infiltrant symboliquement dans le réseau de contrôle de l’information du « Petit Pentagone », siège du Service du renseignement de l’armée et du système de corruption politique. La paranoïa du contrôle se reflète dans le lancement automatique de l’information aléatoire cherchée dans le réseau, qui tombe imprimée sur nos mains.

Il résulte de cette logique de surveillance exercée par l’État et de la conception de l’espace public comme lieu de violence que nous, habitants de Lima, vivons dans un état d’extrême paranoïa et de peur. Dans la ville, les parcs et les places sont en train de disparaître. À cela s’ajoute la privatisation des espaces publics conformément à des critères élitistes, qui nous confronte à une « culture de ghetto et d’apartheid » dissociée d’une métropole en croissance. De nombreuses rues sont bloquées par des clôtures qui protègent la sécurité de maisons converties en petits bunkers sous la responsabilité de surveillants désarmés. Le « huachimán » (hispanisation péruvienne de watchman) surveille les propriétés à partir d’une cabine improvisée et précaire sur le trottoir. Des modèles urbains se constituent ainsi, favorisant les attitudes de renfermement et de méfiance.

Comme les « huachimanes », les arbustes de Gabriel Acevedo dans la vidéo Parálisis ont le tronc restreint par le ciment, mais s’agitent encore et attirent notre attention, faisant savoir qu’ils nous surveillent depuis leur lieu confiné. Le tremblement de ces arbustes, contrôlés de la racine à la cime, semble reproduire l’état psychique des citoyens et leur sentiment de paranoïa et de violence contenue.

Allumer la ville

Si les années 1980 et 1990 ont été caractérisées par l’effacement de l’espace public en raison de la violence et des politiques de contrôle, les années 2000 voient apparaître de nouveaux espaces publics dans les lieux de la consommation et les expériences médiatiques. Les grands magasins, les écrans et Internet définissent les nouvelles attitudes sociales. Les nouvelles places publiques sont les centres commerciaux et les lieux de circulation : avenues, autoroutes et chat rooms.

Il s’ensuit que l’expérience des écrans qui définit les pratiques actuelles des arts médiatiques génère à la fois des échappatoires et un positionnement face à une réalité en panne, appréhendée aujourd’hui plus que jamais comme un simulacre transmis. L’art des nouveaux médias s’approprie les interfaces du pouvoir, en les transformant et en revendiquant un nouvel espace public de plates-formes polyvalentes et ouvertes à l’expérience.

Une nouvelle cité faite d’écrans et de flux d’informations, voilà ce qu’illustre Nicole Franchy dans Satellite Cities. La ville est vue sous l’aspect d’un grand écran de circuits électroniques montrant un horizon standardisé et dystopique. Bien que la dynamique interrompue de l’installation nous renvoie à l’isolement de l’expérience médiatique, elle nous offre également un panorama ouvert à notre contrôle : nous nous réapproprions le territoire perdu.

Le contrôle des médias et l’accès à l’information parcourent l’histoire du Pérou de façon intermittente. La manipulation de la réalité par l’intermédiaire des plates-formes médiatiques par les pouvoirs politiques, l’énergie électrique qui s’allume et s’éteint en raison des bombes terroristes, et les enregistrements vidéo effectués en ville et transmis aux systèmes du Service du renseignement de l’État ont constamment servi de stratégies de contrôle et de restriction de l’espace public(9). Les plates-formes massives d’accès à l’information, combinées avec la reformulation de la transmission des enregistrements médiatiques à partir de l’art, ouvrent des chemins vers de nouveaux points de convergence collectifs et imaginaires, vers de nouvelles voies possibles d’exercice du pouvoir.

Miguel Zegarra

Notes

1. Instituto Nacional de Estadística e Informática (INEI) (Institut national de statistique et d’informatique). Août 2008.
2. Trois grands cônes urbains – Nord, Est et Sud – ont surmonté l’impact désastreux d’une décennie et demie de violence en se transformant en axes dynamiques de développement économique, avec un usage substantiel des technologies de l’information et de la communication dans les rapports sociaux. José Matos Mar. Desborde popular y crisis del Estado. Veinte años después. Lima: Fondo Editorial del Congreso, 2004.
3. Ibid., p. 148.
4. Il convient de souligner la présence d’initiatives institutionnelles récentes dans cette zone, comme Escuelab (http://www.escuelab.org/), laboratoire éducatif et de création expérimentale.
5. L’événement qui a changé radicalement le rapport de la classe moyenne de Lima avec la violence fut l’explosion d’une voiture piégée dans la zone résidentielle de la rue Tarata, dans le district de Miraflores, en 1992. « Ce qui a changé fut le rapport de chacun avec le terrorisme : devenir l’objectif premier plutôt qu’être une cible fortuite. » Max Hernández Calvo et Jorge Villacorta. Franquicias Imaginarias. Las opciones estéticas en las artes plásticas en el Perú de fin de siglo. Lima: Fondo Editorial de la Pontificia Universidad Católica del Perú, 2002, p. 98.
6. Les années 1990 ont également été caractérisées par une importante période de production d’art vidéographique péruvien, pratique qui se perd aujourd’hui, remplacée par des propositions d’art médiatique plus sophistiquées.
7. Deborah Poole. Videos, corrupción y ocaso del fujimorismo. Lima: Instituto de Defensa Legal, 2008.
8. Durant les années du gouvernement militaire (1968-1979), un style officiel a marqué l’architecture: le« brutalisme ». Son esthétique, fonctionnaliste et reliée au modernisme, était visible dans la construction d’édifices publics. Post-Ilusiones / Nuevas Visiones: Arte Crítico en Lima (1980-2006). Lima: Fundación Augusto N. Wiese, 2006, p. 25.
9. En faisant référence au réseau de contrôle des médias de communication de masse du gouvernement dictatorial d’Alberto Fujimori, Rodrigo Quijano distingue la répression de toute forme d’expression non manipulable, d’une structure médiatiquement planifiée d’extorsion et de subornation des quotidiens et des chaînes de télévision. Puntos Cardinales 2001. 4 artistas visuales peruanos. Lima: Quidam, 2002.

Julie Bélisle

Julie Bélisle détient une maîtrise en muséologie et travaille à la Galerie de l’UQAM depuis 2004. Elle poursuit des études de doctorat en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal, dans le cadre desquelles elle s’intéresse aux processus d’accumulation dans l’art contemporain, une spécialisation qui l’a amenée à participer à divers projets de recherche en anthropologie. Elle a publié des textes dans plusieurs revues et catalogues d’exposition et effectuait, en 2007-2008, une résidence d’écriture au 3e impérial (Granby, Québec). Elle a également participé au commissariat de l’exposition Basculer présentée à la Galerie de l’UQAM en 2007, conçu La science dans l’art, une exposition virtuelle réunissant des œuvres de 32 artistes canadiens, et assumé le commissariat d’une exposition sur le travail de l’artiste Monique Régimbald-Zeiber présentée en Europe en 2008.

 

Kiki Mazzucchelli

Kiki Mazzucchelli est commissaire indépendante et auteure, et partage son temps entre Londres et São Paulo. En 2009, elle a organisé l’exposition solo de Jonathas de Andrade à la Galeria Marcantonio Vilaça de Recife, présentée sous le titre Tropical Hangover, et une exposition sur papier dans le magazine Carnation de São Paulo. Cette même année, la Fundación Gilberto Alzate Avendaño de Bogotá, en Colombie, lui a offert une résidence de deux mois comme conservatrice internationale. On lui doit aussi, parmi d’autres présentations récentes, l’exposition collective Looks Conceptual or How I Mistook a Carl Andre for a Pile of Bricks pour la Galeria Vermelho de São Paulo, l’exposition Brasília Teimosa de la photographe Barbara Wagner à l’Institute of Contemporary Arts de Londres, et l’exposition d’œuvres sonores OIDARADIO au Paço das Artes de São Paulo. Elle a été publiée dans plusieurs publications, dont Bravo!Cultura & PensamentoArtPressFlash Art et d’autres encore, ainsi que dans divers catalogues d’expositions. Mme Mazzucchelli est correspondante au Royaume-Uni pour le magazine espagnol ArteContexto et membre du groupe de conservateurs externes du Centro Cultural São Paulo (CCSP), et a été membre du jury du festival Technology Connections produit par l’Instituto Sergio Motta (São Paulo, juin et juillet 2008).

Miguel Zegarra

Miguel Zegarra est né à Lima en 1979 et a fait un baccalauréat en histoire à la Pontificia Universidad Católica del Perú. Depuis 2007, il est commissaire à Vértice Galería de Arte, à Lima. De 2004 à 2006, il a été co-commissaire de l’exposition itinérante internationale intitulée Vía SatélitePanorama de la fotografía y el video en el Perú contemporáneo, présentée à Buenos Aires, Mexico, Montevideo, Santiago, San José et Lima. Depuis 2004, il est commissaire pour le Festival international d’art vidéo et d’art électronique. Il a été en outre commissaire pour l’installation vidéo de l’artiste Patricia Bueno, qui a représenté le Pérou à la 52e Biennale de Venise, en 2007. Parmi les expositions qu’il a organisées récemment, citons La generación del espectáculo: Arte peruano contemporáneo (Galería Kiosko, Bolivie, 2009); En tránsito al paraíso: Imaginarios de la migración (Vértice Galería de Arte, 2009); La construcción del lugar común (Museo de Arte Contemporáneo, Lima, 2008); et Zona de desplazamientos: Videoarte peruano contemporáneo (MAMba Museo de Arte Moderno de Buenos Aires, 2007). Il a publié dans divers magazines dont Third Text (Londres), Contemporary (Londres), Arte Al Día International (Buenos Aires) et Artmotiv (Lima). Il a récemment fait partie du jury qui a choisi les œuvres représentant le Pérou à la Xe Biennale internationale de Cuenca (Équateur, 2009).

Artistes et oeuvres

Amilcar Packer
Vidéo #15

2008

Installation vidéo

Depuis le début de sa carrière, Amilcar Packer explore la relation entre le corps et son environnement et en mesure les possibilités et les limites au moyen d’assemblages temporaires qui réunissent son propre corps, ses vêtements, ses meubles et des éléments architecturaux d’espaces clos. Ses expériences en studio, à la Nauman, absurdes en apparence, ont débouché d’abord sur des performances photographiques. Plus récemment, il a produit des œuvres photographiques et vidéographiques plantées dans un décor urbain.

Video #15, installation vidéo à deux canaux, témoigne de ses efforts tenaces pour rester assis sur une chaise dans un espace clos, sans fenêtres ni portes. L’image est présentée sous deux angles différents mais simultanément au spectateur qui se trouve entre des écrans symétriquement opposés, comme s’il était lui-même piégé dans la pièce. Un bruit sourd se fait entendre, tandis que la pièce tremble puissamment et que le corps de l’artiste est projeté violemment sur les murs. Il faut un moment pour comprendre que l’action se déroule dans la boîte d’un camion en mouvement.

Sans aborder directement aucun de ces thèmes, l’installation n’en suggère pas moins un éventail de situations liées au pouvoir biopolitique : torture, déplacement forcé, trafic transfrontalier d’immigrants. L’œuvre et les images qu’elle suscite sont autant d’exemples de circonstances où le corps est soumis à des forces ou à un pouvoir extérieurs. Et tout en exposant la fragilité du corps, Video #15 en accentue la détermination, puisque l’artiste retourne constamment à sa position initiale.

Amilcar Packer est né à Santiago, au Chili, en 1974. Il a complété ses études de philosophie à l’Université de São Paulo en 1999. De 1998 à 2001, il a étudié avec Eduardo Brandão à l’école d’art Terceiro Andar. Il a présenté ses œuvres au cours d’expositions solo telles que Entre, à l’Usina do Gasômetro (Porto Alegre, 2009); Polisemiose, au Centro Cultural Banco do Brasil (São Paulo, 2006); et Grave, à la Galeria Vermelho (São Paulo, 2005). Il a également participé à plusieurs expositions collectives telles que la 2nd Thessaloniki Biennale of Contemporary Art (Thessaloniki, 2009); Tipos móviles, 2da Trienal Poli/Gráfica de San Juan (Porto Rico, 2009); Farewell to Post-Colonialism, Third Guangzhou Triennial, Time Museum/Guangdong Museum of Art (Guangzhou, 2009); Interrogating Systems, CIFO Grants and Commissions Exhibition (Miami, 2008); Geração da Virada, Instituto Tomie Ohtake (São Paulo, 2006); Con los Ojos del Otro, Centro Cultural de España (Montevideo, 2006); et la Biennale de Sydney (2004). Amilcar Packer est représenté par la Galeria Vermelho de São Paulo.

Gabriel Acevedo Velarde
Parálisis (Paralysie)

2005

Vidéo, 2 min 15 s

Dans cette animation vidéo, la nature même est victime des névroses des habitants des mégalopoles telles que la ville de Mexico, où l’artiste a exécuté cette pièce. Sur le trottoir, des arbustes à bout de nerfs hurlent, tremblent et grognent à l’adresse des passants, comme s’ils étaient consumés par leurs angoisses et une tristesse sans fard. La vidéo montre une espèce particulière d’arbre buissonnant, très courant dans les villes de Lima et de Mexico : le figuier pleureur. Cet élément, à la fois commun et étrange dans le paysage urbain, symbolise la contrainte et la volonté paranoïaque de contrôle qui touchent même la nature, ces plantes étant toujours confinées par des bordures de béton ou d’asphalte et taillées en formes diverses comme sous le coup d’une obsession kitsch. Le mouvement inattendu de ces éléments en fait le signe d’une petite révolution au quotidien.

Gabriel Acevedo Velarde est né à Lima en 1976 et s’est formé à la Universidad de las Américas Puebla, au Mexique, en cinéma et en photographie. Parmi ses expositions solo, mentionnons Quorum Power, au Museo Carrillo Gil (Mexico, 2009); No matter what happens to you, we will keep growing à la Y Gallery, Queens (New York, 2008); Incorporación, desprendimiento à la Galería OMR (Mexico, 2008); Marathon à la Galeria Leme (São Paulo, 2008); et Sinapsis Insurrección à la Sala de Arte Público Siqueiros (Mexico, 2006). Parmi ses expositions collectives figurent MALI Contemporáneo, au Museo de Arte de Lima (2009); la Triennale de Guangzhou, au Guangdong Museum of Art (Chine, 2008); I/Legítimo, au Paço das Artes / Museu da Imagem e do Som (São Paulo, 2008); The Culture Clash, Working Rooms Project Space (Londres, 2008); Fuck you human, à la Maribel Lopez Gallery (Berlin, 2008); Zoótropo, au Museo de Arte Moderno (Mexico, 2008); Panorama 2007, au Museu de Arte Moderna (São Paulo); FACE-UP, à la Galerie Adler (New York, 2007); Geopolíticas de la Animación, au Centro Andaluz de Arte Contemporáneo (Séville, 2007); En Perfecto Desorden, au Museo de Arte Reina Sofía (Madrid, 2007); la 4e Biennale internationale des arts des médias de Séoul (2006); et Contemporary Video Art from Brazil, à la Galerie Adler (Francfort, 2006). Il a été récompensé par la Fundación Jumex (2007), la Rockefeller Foundation (2006) et la American Center Foundation (2007) et a reçu une mention honorifique au 15e Festival Videobrasil. Gabriel Acevedo Velarde est représenté par la Galeria Leme de São Paulo. Il vit à Berlin.

José Carlos Martinat
Stereo Reality Environment 3 : Brutalismo

2007

Installation interactive

Stereo Reality Environment 3: Brutalismo se situe au cœur d’architectures et d’archétypes physiques et sociaux. Pour ce projet, l’artiste a reproduit le « Pentagonito », une architecture qui abrite les services secrets péruviens. Son nom est inspiré du Pentagone, célèbre bâtiment du département américain de la Défense. Il s’agit d’une maquette mécanisée, qui sert de cocon à des images et à des textes qu’elle expulse ensuite. L’association entre ces « brutalismes » évoque des liens dualistes, issus de la sombre histoire du Pentagonito et juxtaposés à une forme elle aussi brutale.

Collection du Tate Modern

José Carlos Martinat est né à Lima en 1974. Il a étudié les arts, la conception sonore et les logiciels interactifs à l’Instituto Antonio Gaudí – Centro de la Fotografía. Il a participé à de nombreuses expositions collectives, notamment la 7a Bienal do Mercosul (2009), la 2da Trienal Poli/Gráfica de San Juan (2009), MALI Contemporáneo au Museo de Arte de Lima (2009), Emergentes au LABoral de Gijón, Espagne (2008) et à la Fundación Telefónica de Buenos Aires et de Lima (2008-2009), 10°00 S / 76°00 W à la Galeria Leme de São Paulo (2007), Doppelgänger: El doble de la Realidad au MARCO Museo de Arte Contemporáneo de Vigo en Espagne (2007), au 9e Festival international de vidéo, d’art et d’électronique de Lima (VAE, 2005), au Festival mondial de la vidéo d’Amsterdam (2004) et à l’exposition Vía SatélitePanorama de la fotografía y el video en el Perú contemporáneo (exposition internationale itinérante, 2004-2006). M. Martinat a obtenu le prix d’encouragement aux productions nouvelles au concours Vida 7.0 Arte y Vida Artificial de la Fundación Telefónica, à Madrid en Espagne (2004). Il est représenté par la Galeria Leme à São Paulo et la Revolver Galería à Lima. Il vit et travaille à Lima.

Leandro Lima – Gisela Motta
Armas.Obj. (Armes.Obj.)

2008

Objets en papier de dimensions variables

Les pistolets, mitraillettes, carabines et fusils pour tireurs d’élite reconstruits en papier par Gisela Motta et Leandro Lima sont inspirés de ceux qu’utilisent plusieurs jeux vidéo populaires de tir en vue subjective, sous-genre assez vaste de jeux d’action dont les personnages utilisent diverses armes. Mais les fusils de ces jeux sont eux-mêmes des représentations numériques d’armes à feu véritables et populaires, dont la plupart sont associées à un conflit ou un pays spécifique. En plus de leur donner une allure très réelle, leurs concepteurs tentent généralement d’imiter le fonctionnement d’armes véritables pour procurer au joueur une expérience réaliste.

Les deux artistes ont cannibalisé les jeux afin d’en extraire les fichiers tridimensionnels d’origine qu’ils ont transformés en fichiers bidimensionnels, pour ensuite imprimer les modèles papier grandeur nature et les assembler. À distance, ainsi disposées sur le mur de la galerie comme le sont les collections traditionnelles d’armes à feu, les pièces ressemblent à de véritables armes, puisque leur tridimensionnalité leur donne « poids » et volume. Mais en s’approchant, le spectateur s’aperçoit qu’il s’agit de reproductions, les artistes ayant conservé la simplification polygonale et la qualité graphique des fichiers de jeu.

Cette série traite de l’incidence complexe de la technologie sur la perception, et soulève cette question : l’expérience virtuelle est-elle moins réelle que « la vraie vie »? Le lien entre l’exposition à la violence des jeux vidéo et les comportements agressifs est un sujet litigieux, qui suscite des débats depuis une décennie. Ramenées dans le monde tangible, ces armes semblent retrouver, ne serait-ce que temporairement, la gravité qu’elles ont dans le monde réel.

Leandro Lima et Gisela Motta sont tous deux nés à São Paulo en 1976. Ils ont acquis leur formation en arts visuels au FAAP à São Paulo de 1996 à 1999 et travaillent en partenariat depuis cette époque. Ils ont présenté leurs œuvres dans de nombreuses expositions personnelles telles que Sob Controle (2009) et Vivendo (2006) à la Galeria Vermelho (São Paulo), et Foreign Element, au terme d’une résidence de trois mois au HIAP d’Helsinki (2007). Ils ont aussi participé à des expositions collectives, dont la 10a Bienal Habana (La Havane, 2009); We Used to Be Painters, Plan 9 (Bristol, 2008); I/Legítimo, au MIS (São Paulo, 2008); et Aktuelle Videokunst aus Brasilien, au KW Institute for Contemporary Art (Berlin, 2007). Mme Motta et M. Lima ont effectué une résidence d’artistes de trois mois en Grande-Bretagne en 2008, grâce au programme Artist Links du British Council. Les deux artistes ont obtenu des prix prestigieux, notamment le Marcantonio Vilaça Prize et la Incentive bursary de la compétition Sergio Motta Art & Technology Awards en 2004. Ils sont représentés par la Galeria Vermelho à São Paulo.

Leandro Lima – Gisela Motta
Alvo (Cible)

2008

Installation interactive

Quand un spectateur passe en un point déterminé de l’espace d’exposition, son image est saisie en temps réel par une caméra reliée à un ordinateur; un logiciel capte le signal et décode l’image grâce à un processus appelé « pistage », tout en fournissant des coordonnées. Cette information sert au positionnement d’une cible qui est projetée sur le corps du visiteur et le suit dans tous ses mouvements. Il y a une seule cible et elle « choisit » le visiteur qui se déplace le plus. S’il n’y a aucun mouvement dans la zone désignée, l’ordinateur ne capte aucun point de référence sur lequel projeter la cible et l’espace reste vide.

L’installation rend visible l’état de paranoïa constante dans lequel vivent tant d’habitants de São Paulo, qui se sentent comme des victimes potentielles de la violence urbaine, mais qui sont aussi de plus en plus surveillés par les dispositifs de sécurité omniprésents que sont les caméras en circuit fermé, les capteurs qui déclenchent des alarmes et même les gardiens de sécurité armés jusqu’aux dents engagés par des particuliers. L’œuvre expose ainsi la mince démarcation entre les notions d’agression et de protection, nous rappelant que les espaces et les situations sous la surveillance excessive de mesures de sécurité extrêmes peuvent devenir aussi menaçants et intimidants que s’il y avait eu crime. Suivant la logique de la panoptique, cette installation interactive renvoie aussi au sentiment de persécution issu du risque de voir la technologie de surveillance moderne exercer le « pouvoir de l’esprit sur l’esprit ».

Leandro Lima et Gisela Motta sont tous deux nés à São Paulo en 1976. Ils ont acquis leur formation en arts visuels au FAAP à São Paulo de 1996 à 1999 et travaillent en partenariat depuis cette époque. Ils ont présenté leurs œuvres dans de nombreuses expositions personnelles telles que Sob Controle (2009) et Vivendo (2006) à la Galeria Vermelho (São Paulo), et Foreign Element, au terme d’une résidence de trois mois au HIAP d’Helsinki (2007). Ils ont aussi participé à des expositions collectives, dont la 10a Bienal Habana (La Havane, 2009); We Used to Be Painters, Plan 9 (Bristol, 2008); I/Legítimo, au MIS (São Paulo, 2008); et Aktuelle Videokunst aus Brasilien, au KW Institute for Contemporary Art (Berlin, 2007). Mme Motta et M. Lima ont effectué une résidence d’artistes de trois mois en Grande-Bretagne en 2008, grâce au programme Artist Links du British Council. Les deux artistes ont obtenu des prix prestigieux, notamment le Marcantonio Vilaça Prize et la Incentive bursary de la compétition Sergio Motta Art & Technology Awards en 2004. Ils sont représentés par la Galeria Vermelho à São Paulo.

Lucas Bambozzi
Run>Routine

2007

Projections vidéo informatisées

Run>Routine est un projet né de l’observation des activités auxquelles les gens s’adonnent tous les jours et qui sont fondées sur des routines informatiques, par exemple, le choix du fichier d’une chanson ou d’une vidéo dans un lecteur avec interface graphique, fondé sur un processus répétitif étranger au monde dans lequel nous vivons et écoutons normalement. Le titre est partie intégrante de l’œuvre. En langage informatique, en effet, « run » est une sorte de répétition associée à l’exécution de commandes, de scripts, de programmes ou de routines de programmation. Autrement dit, c’est une commande qui déclenche divers événements. Le mot « routine » souligne le caractère ironique du projet, puisqu’il n’évoque pas tant une habitude que la répétition de petits incidents du quotidien.

Run>Routine associe les routines de l’encodage aux routines domestiques. Si les premières sont « programmables » et en principe infaillibles, les secondes ont presque toujours des résultats imprévisibles. Mais toutes peuvent apporter leur lot de vicissitudes.

L’œuvre est composée d’un système synchronisé à deux écrans, dont l’un exécute le script de programmation qui déclenche les vidéos de manière aléatoire et l’autre présente les séquences vidéo des incidents, soit la chute d’objets qui génère de brèves séquences chaotiques attirant à leur tour l’attention des spectateurs de manière singulière et brève.

Lucas Bambozzi est un artiste des nouveaux médias de São Paulo. Au cours des dernières années, ses travaux ont été présentés dans de nombreuses expositions personnelles et collectives dans plus de 40 pays. Artiste invité au CAiiA-STAR Centre, il a mené une recherche sur l’omniprésence des systèmes informatiques et sur le domaine du privé dans l’environnement des réseaux. Il a complété ses études de maîtrise en 2006 à l’Université de Plymouth au Royaume-Uni. Parmi ses projets de commissariat, on compte Life Goes Mobile (2005) et arte.mov – International Mobile Media Art Festival (2006-2009). M. Bambozzi a fait partie de collectifs d’artistes tels que FAQ/feitoamãos et Cobaia, avec lesquels il a réalisé des performances vidéo et des interventions médiatiques dans les lieux publics. Il a présenté ses œuvres dans les expositions Interconnect, au ZKM (Karlsruhe, Allemagne, 2006); Pensée Sauvage – on Freedom, au Frankfurter Kunstverein (Allemagne, 2007); Emergentes, au LABoral (Gijón, Espagne, 2007-2008); et RE:akt!, à la galerie ŠKUC (Ljubljana, Slovénie, 2009). Il est représenté par la Luciana Brito Galeria à São Paulo.

Nicole Franchy
Satellite Cities

2009

Installation interactive

Avec Satellite Cities, Nicole Franchy poursuit un questionnement sur la croissance accélérée des villes chinoises du delta de la rivière des Perles. Cette vaste région urbaine, maillage d’architectures et de paysages sillonné par 1500 kilomètres de routes, compte trois villes et cinq aéroports. Ce grand organisme parasite, parfait en apparence, présente pourtant des dysfonctionnements attribuables à sa croissance vertigineuse : des complexes industriels et des villes fantômes coupés des réseaux routiers abandonnés. À partir de cette description, Nicole Franchy offre une analogie entre les tracés de circuits électroniques et ces nouveaux modèles de croissance urbaine. Son installation interactive est fondée sur une vision dystopique de la société contemporaine ainsi que des caractéristiques techniques d’un circuit : tous deux s’apparentent à une nomenclature technologique. L’artiste extrait des constantes architecturales et en fait les standards de trois motifs structurant le modèle de trois villes. L’installation résultante est un réseau translucide semblable à celui d’un organisme vivant dont on pourrait observer les organes internes en action. Ce système, lui aussi parfait en apparence, est pourtant doté de fonctions paradoxales : les routes dont l’image est projetée sur un diorama transparent ne relient pas les différentes zones entre elles mais, bien au contraire, les isolent.

Nicole Franchy est née à Lima en 1977. Elle est diplômée de la Escuela Superior de Bellas Artes Corriente Alterna (médaille d’argent). Son champ d’études était les logiciels interactifs au Centro Fundación Telefónica de Lima. Elle effectue actuellement des études de maîtrise au HISK (Higher Institute for Fine Arts) à Gand, en Belgique. Parmi ses récentes expositions personnelles, on compte Patron 3.15 H9 à Vértice Galería de Arte (Lima, 2008), Espacios Compartidos au Centro Cultural Ricardo Palma (Lima, 2006) et Urbania à la Galería 5006 (Buenos Aires, 2007). Ses œuvres ont été présentées dans plusieurs expositions collectives récentes telles que Des-habitables (exposition itinérante, Lima et Madrid, 2009), La construcción del lugar común au Museo de Arte Contemporáneo (Lima, 2008), Frontera / under the skyline à Vértice Galería de Arte (Lima, 2007), Buenos Aires Photo au Palais de Glace de Buenos Aires (2006 et 2007), et Método de Duda à la Galería Artco (Lima, 2003). Elle a remporté plusieurs prix, dont le premier prix de photographie Humboldt/Goethe Institute (Lima, 2002), et a été finaliste au X Concurso de Artes Visuales « Pasaporte para un Artista » / Embajada de Francia (Lima, 2007) de même que pour le Unión Latina Prize (2008). L’artiste vit et travaille à Rome et en Belgique.

Rodrigo Matheus
Grand Canyon

2008

Vidéo, 4 min 12 s

Tandis que South Pole et Tokyo misent sur des effets de rapprochement et des plans-séquences, Grand Canyon présente plusieurs plans saisis à des vitesses et sous des angles différents, qui ont ensuite été l’objet d’un montage. Cette fois, la caméra se déplace surtout au-dessus des terres désertes qui bordent le canyon, et la trame sonore joue en mode nerveux et mystérieux.

Les mouvements de caméra donnent lieu à une gamme d’effets visuels : les montagnes surgissent ou disparaissent comme si la Terre vivait et palpitait. En réalité, ces effets résultent de l’action combinée de la vitesse de connexion et des commandes de navigation, qui influent sur la vitesse de déplacement de la caméra et le rendu des images.

Le Grand Canyon est l’un des rares endroits modélisés en trois dimensions dans Google Earth, et c’est aussi l’une des pages les plus populaires.

Rodrigo Matheus est né en 1974 à São Paulo. Il a complété un baccalauréat en multimédia à la Faculté des Arts et Communications de l’Université de São Paulo et présenté son travail un peu partout au Brésil et à l’étranger. En 2008, il a fait une exposition solo à la Galeria Fortes Vilaça de São Paulo et a participé à l’exposition collective Looks Conceptual or How I Mistook a Carl Andre for a Pile of Bricks, à la Galeria Vermelho (São Paulo), ainsi qu’au festival Images, à l’Art Gallery de l’Université York, de Toronto. L’artiste a aussi récemment participé à plusieurs expositions collectives, telles Arquivo Geral, au Centro de Arte Hélio Oiticica (Rio de Janeiro, 2006); MAM na OCA, au pavillon OCA (São Paulo, 2006); et Paradoxos Brasil, exposition itinérante présentée successivement à Rumos Artes Visuais, à l’Instituto Itaú Cultural de São Paulo, au Centro Dragão do Mar Arte e Cultura de Fortaleza, au Museu de Arte Contemporânea de Goiânia et au Paço Imperial de Rio de Janeiro (2005 et 2006). Rodrigo Matheus est représenté par la Galeria Fortes Vilaça, à São Paulo.

Rodrigo Matheus
South Pole

2008

Vidéo, 3 min 3 s

South Pole s’ouvre sur des images abstraites et des formes géométriques qui se transforment lentement et ressemblent parfois à un iris. Lumière et noirceur oscillent à l’écran, sur un fond musical qui évoque un certain mystère, jusqu’à ce qu’une vive lumière blanche finisse par dominer. Le rythme hypnotique et les images mystérieuses demeurent jusqu’aux trois quarts du film environ.

Puis la caméra amorce un recul et révèle les contours de cette masse blanche bordée de taches bleu vif. Ce n’est qu’à la toute fin, quand elle fait apparaître les contours de la planète, que nous comprenons enfin ce que nous venons de voir. Ce territoire glacé, désolé et largement inconnu, est représenté ici au centre du globe, ce qui le fait paraître plus proche, plus accessible.

Élément de la trilogie Google Earth de Rodrigo Matheus, cette vidéo révèle à quel point nos pulsions voyeuristes sont aiguillonnées à l’idée d’une technologie qui dévoile sur l’écran de notre ordinateur des lieux distants, auparavant inaccessibles. Suivant la logique du programme, nous concluons alors que la caméra a commencé par scruter de près le territoire réel pour nous montrer le pôle Sud tel qu’il est vraiment. Or, les satellites ne peuvent pas enregistrer les images de cette région du globe, qui est couverte de neige et qui, par conséquent, réfléchit la lumière blanche. Ce que l’artiste a mis sous nos yeux est un ensemble de formes et de couleurs mouvantes, qui frustre notre désir de voir ce qui n’a jamais été vu.

Rodrigo Matheus est né en 1974 à São Paulo. Il a complété un baccalauréat en multimédia à la Faculté des Arts et Communications de l’Université de São Paulo et présenté son travail un peu partout au Brésil et à l’étranger. En 2008, il a fait une exposition solo à la Galeria Fortes Vilaça de São Paulo et a participé à l’exposition collective Looks Conceptual or How I Mistook a Carl Andre for a Pile of Bricks, à la Galeria Vermelho (São Paulo), ainsi qu’au festival Images, à l’Art Gallery de l’Université York, de Toronto. L’artiste a aussi récemment participé à plusieurs expositions collectives, telles Arquivo Geral, au Centro de Arte Hélio Oiticica (Rio de Janeiro, 2006); MAM na OCA, au pavillon OCA (São Paulo, 2006); et Paradoxos Brasil, exposition itinérante présentée successivement à Rumos Artes Visuais, à l’Instituto Itaú Cultural de São Paulo, au Centro Dragão do Mar Arte e Cultura de Fortaleza, au Museu de Arte Contemporânea de Goiânia et au Paço Imperial de Rio de Janeiro (2005 et 2006). Rodrigo Matheus est représenté par la Galeria Fortes Vilaça, à São Paulo.

Rodrigo Matheus
Tokyo

2008

Vidéo, 6 min 25 s

Au premier regard, on ne voit qu’une image floue, composée d’éléments indistincts. Mais à mesure que la caméra s’éloigne, lentement, on aperçoit des blocs gris unis qui semblent flotter au-dessus de ce qu’on peut maintenant assimiler à une sorte de scénario suburbain, où des rues d’apparence tranquille sont bordées de maisons. Le lent mouvement de la caméra s’accompagne dès lors d’une cacophonie de voix parlant une langue étrangère, vraisemblablement le japonais.

Quelques secondes encore et l’usager d’Internet un tant soit peu averti se trouve en territoire connu. Il devient évident en effet qu’il s’agit d’une caméra de Google Earth qui révèle graduellement les contours d’une ville. Simultanément, les sons, toujours plus discordants, ajoutent de la tension à une vidéo qui semble autrement ordinaire. Bientôt, quelques logos d’entreprises surgissent à l’écran comme pour signaler des lieux repérés au moyen de données satellites.

Mais le zoom arrière se poursuit et les logos prolifèrent, au point de couvrir presque entièrement la zone représentée. Le son s’éteint peu à peu et les logos commencent à vibrer follement, ridiculement, sur le rythme d’une sorte de trame techno-pop qui semble composée des sons d’un jeu vidéo.

Tokyo joue sur les possibilités offertes par les plus récentes techniques de surveillance, indubitablement attrayantes puisqu’il suffit d’un clic de souris pour ouvrir une fenêtre sur le moindre point du monde. Mais l’œuvre nous rappelle que ces mêmes espaces deviennent aussi beaucoup plus vulnérables à la mainmise et à l’exploitation d’un pouvoir commercial ou militaire.

Rodrigo Matheus est né en 1974 à São Paulo. Il a complété un baccalauréat en multimédia à la Faculté des Arts et Communications de l’Université de São Paulo et présenté son travail un peu partout au Brésil et à l’étranger. En 2008, il a fait une exposition solo à la Galeria Fortes Vilaça de São Paulo et a participé à l’exposition collective Looks Conceptual or How I Mistook a Carl Andre for a Pile of Bricks, à la Galeria Vermelho (São Paulo), ainsi qu’au festival Images, à l’Art Gallery de l’Université York, de Toronto. L’artiste a aussi récemment participé à plusieurs expositions collectives, telles Arquivo Geral, au Centro de Arte Hélio Oiticica (Rio de Janeiro, 2006); MAM na OCA, au pavillon OCA (São Paulo, 2006); et Paradoxos Brasil, exposition itinérante présentée successivement à Rumos Artes Visuais, à l’Instituto Itaú Cultural de São Paulo, au Centro Dragão do Mar Arte e Cultura de Fortaleza, au Museu de Arte Contemporânea de Goiânia et au Paço Imperial de Rio de Janeiro (2005 et 2006). Rodrigo Matheus est représenté par la Galeria Fortes Vilaça, à São Paulo.

Rolando Sánchez
Matari 69200

2005

Jeux vidéo

Le projet Matari 69200 s’articule autour des violences politiques qu’a connues le Pérou durant les années 1980. L’artiste utilise pour ce faire un jeu vidéo et l’ATARI 2600, une console très populaire à cette époque. Le chiffre 69200 évoque le nombre de victimes de la guerre. Le conflit opposait le gouvernement péruvien, représenté par l’armée, à une guérilla maoïste appelée Sentier lumineux. Des milliers de personnes ont été torturées et assassinées et beaucoup d’autres ont disparu. La brutalité fut l’œuvre conjointe d’une guérilla fondamentaliste et de la police, celle-ci se rendant coupable d’une répression abusive et aléatoire et d’un déni total des droits de la personne. Or, l’écran de télé qui montrait les images de cette guerre servait aussi à jouer au Pac Man et aux Space Invaders. Matari 69200 fusionne ces deux expériences en un jeu vidéo fondé sur des épisodes des événements terroristes.

Rolando Sánchez est né à Lima en 1974. Il est diplômé de la Escuela Nacional de Bellas Artes de Lima et de la faculté de génie électronique de la Pontificia Universidad Católica del Perú, établissement où il enseigne actuellement. Il a participé à plusieurs expositions collectives, telles que Homo Ludens Ludens au LABoral (Gijón, Espagne, 2008), le Videt ‘08 Festival Internacional de videoart de Vilafranca del Penedés (Barcelone, Espagne, 2008), la Bienal iberoamericana de videocreación y arte digital Inquieta Imagen V au Museo de Arte y Diseño Contemporáneo (San José, Costa Rica, 2007), le 3e Festival d’art électronique (Rosario, Argentine, 2006), le 10e Festival international de vidéo, d’art et d’électronique (Lima, 2006), le 2e Festival d’art électronique 404 (Rosario, Argentine, 2005), Break 2.3 New Species (Ljubljana, Slovénie, 2005), Artware 3, au Centro Cultural de la Universidad Católica (Lima, 2005), et Softmachine à la Galería Artco (Lima, 2005). M. Sánchez s’est vu décerner un prix à la IIIe Exhibition of Digital Art (catégorie installation vidéo, Santa Fe, Argentine, 2006) et le premier prix au Metropolitan Contest for Young Visual Artists (Lima, 2006). Il vit et travaille à Lima.